En ce début d’année 2022 la Maison de la Photographie des Landes accueille déjà sa première artiste photographe résidente.
Anne-Cécile Paredes nous fait cet honneur sur invitation de notre directrice artistique.
« Cher Félix, Je t’appelle Félix car les gens qui te connaissent ici t’appellent comme ça. Est-ce que les gens de Malaga appellent Picasso Pablo ? Je pense pas et je trouve ça charmant. Ça nous rend immédiatement plus proches. Félix, lorsque j’ai compris que tu mettais toutes tes images en scène, t’es devenu une sorte de star. Tu composais, choisissais tes modèles, les plaçais dans des lieux qui racontaient ton point de vue des Hautes Landes. La nostalgie de ton enfance, juste avant l’ère de l’industrialisation de la forêt qui allait bouleverser ton village. Tu as essayé de sauvegarder une forme de culture menacée. Et ça, un peu avant 1880. T’as peut-être serré la main de Napoléon III, peut-être d’Eugénie… Je ne t’imagine pas très mondain. En fait, je suis sûre que tu ne pouvais pas les sentir….
A l’époque, les photographes étaient rares, le matériel était complexe, cher et peu accessible. Ton père ne devait pas être n’importe quel paysan, d’ailleurs on dit plutôt propriétaire terrien, et la tendresse de ton regard sur le monde agricole nous raconte aussi ce déclassement. Tu as appris tout seul et je me dis, tu as dû bien t’amuser à mettre une femme sur des échasses alors qu’à l’époque cela n’existait pas, les échasses oui, les femmes aussi, mais elles filaient, elles ne gardaient pas les moutons. Cette image sous ses airs de « documentaire traditionnel » porte de l’insolence et du politique. J’adore. Au fil des ans, tes photographies ont pris un statut d’archives, c’est le temps qui passe et les gens qui oublient qui entraîne cela. Tes images sont LES IMAGES de Labouheyre de cette époque et devenues libres de droit, plus d’un office du tourisme de centre de loisirs, de club de chasse et d’artiste en résidence s’est fait plaisir. Ce qui devait arriver arriva, les pins ont poussé, le territoire s’est transformé et avec lui les personnes qui l’habitent. Les archives sont vivantes, elles sont constituées d’images, de mots, de sons, de matières qui évoluent avec nous, avec les populations. Quand je suis arrivée ici, on m’a parlé de toi forcément, Mr Félix Arnaudin, et on m’a dit aussi qu’il y a plus de 52 populations d’origines différentes à Labouheyre, c’est un chiffre comme une légende, mais c’est vraiment singulier pour un village de 3000 habitants ! Si tu regardes les petits CE2 avec qui je travaille, on dirait une classe de banlieue parisienne à part qu’on est au milieu des Landes. Labouheyre terre d’accueil ! Les premiers arrivés je pense que c’est les Espagnols, puis suivent les Italiens, les Maghrébins, les Hmong, Les Roumains, les Equatoriens, les Boliviens, les Tahitiens, les Turcs etc. Une grande majorité commence à travailler dans les champs et puis certains s’installent, se forment, font venir la famille, les voisins. Ici plus qu’ailleurs ? Les jeunes s’en vont parce qu’ils ne trouvent pas de travail, ici comme ailleurs, mais souvent ils reviennent. Félix, si tu le permets, nous allons nous aussi nourrir les archives et jouer avec les changements. Nous allons nous amuser avec tes photographies, leurs titres, leurs descriptions et fabriquer une place pour ces populations dans les archives de la ville. Ces communautés sont arrivées depuis longtemps ou depuis peu, de plus ou moins loin, depuis parfois plusieurs générations. Elles ont amené dans leurs valises leurs cultures et leurs traditions, et ces traditions évoluent, sont poreuses, s’estompent, se recomposent au fil des générations qui passent et qui grandissent ici à Labouheyre. Peut-être cela t’amusera de découvrir comment les lieux et les gens qui les habitent ont changé ? Cela reste toujours un point de vue, celui qui met en scène, qui recompose, qui s’amuse. »
© Anne Cécile Paredes.
Serre. Landes humides.
Trois pins épargnés par l’incendie.
26 janvier 1918.